GESAMTKUNSTWERK

CŒUR À CŒUR – Chapter III –

Dans sa chronique CŒUR À CŒUR, Guido Brancher de GUID-O-BERLIN* présente des lieux et événements afin de les comprendre et de les situer dans un contexte historique et temporel. Carte blanche quant à la thématique car nous aimons son goût éclectique et ses références variées.

Et puisque Berlin n’est vraiment belle que si vous la quittez régulièrement, certains de ses reportages seront tirés de ses voyages au-delà de la capitale.

Alors, laissez vous guider au fil de ces découvertes. Le coeur est voyageur!

Vue extérieure du pavillon allemand pour l'Exposition universelle de Barcelone de 1929, Ludwig Mies van der Rohe, architecte, avec la sculpture de Georg Kolbe The Morning, photo Gili Merin
Vue extérieure du Pavillion Allemand pour l’Exposition Universelle à Barcelone de 1929 Ludwig Mies van der Rohe, architecte, avec sculpture Le Matin de Georg Kolbe, photo Gili Merin

Gesamtkunstwerk

Pendant que je travaillais sur mon article sur Arcadia j’ai eu du mal à trouver une traduction appropriée pour le mot allemand Gesamtkunstwerk. C’est un terme que j’aime utiliser pour décrir la puissance écrasant qu’une œuvre d’art peut atteindre en employant divers medias pour transmettre un message ou une émotion universelle et englobante.

Le terme Œuvre Totale s’approche mais il semble que ce soit un terme propre à la langue allemande, ceci dit la notion de ce mot est universelle.

Raison suffisante pour vous faire voyager dans le monde fascinant du Gesamtkunstwerk.

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Faites-le baroque

Ma première rencontre avec un Gesamtkunstwerk a eu lieu durant mes études d’histoire de l’art.

Le baroque fut le sujet, L’extase de Sainte Therese du Bernin était l’oeuvre et son titre est programme!

Il s’agit d’un autel dans une église romane et la chose est conçue comme un décor de scène.
Pour l’histoire, Teresa reçoit l’amour de Dieu á travers la flèche enflammée d’un ange… encore et encore et encore.

Son corps et son visage expriment à l’unisson… disons que Théa prend son pied, mais grave!

Mais le clou ingénieux de l’installation, celle qui en fait un Gesamtkunstwerk, est une fenêtre cachée en hauteur qui éclaire le visage de Teresa et ses reins convulsif.

C’est absolument magique dans toute sa splendeur baroque et m’a montré l’immense pouvoir que l’art peut atteindre.

Giovanni Lorenzo Bernini, L’Extase de Sainte Therese, Santa Maria Della Victoria, Rome, 1645-1652

Romantiques allemands

Le terme Gesamtkunstwerk lui-même a été inventé par les romantiques allemands.

En particulier, Richard Wagner a approché ses opéras comme des Gesamtkunstwerke, englobant le drame, la musique, les décors

– même le théâtre de Bayreuth lui-même –

pour donner à son art un plus grand impact dans l’expression du désir humain de devenir divin.

Ma rencontre personnelle avec ce genre de divinité s’est produite lorsque j’ai eu l’immense privilège d’assister á une première de Tristan et Isolde dans une production de Peter Sellars mettant en vedette les vidéos de Bill Viola à l’Opéra Bastille …

J’ai pleuré pendant cinq heures et demie.

Le son, la modernité, la pureté, l’avalanche d’émotion évoquée par les vidéos au ralenti de Viola étaient quelque chose dont j’espère me souvenir au moment de mon dernier souffle.

Melanie Diener (Isolde) et Ben Heppner (Tristan) dans la production de Tristan und Isolde de la Canadian Opera Company, 2013. Chef d’orchestre: Johannes Debus, réalisateur: Peter Sellars, art video: Bill Viola, costumes: Martin Pakledinaz, concepteur d’éclairage: James F. Ingalls. Photo: Michael Cooper Photographie

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Secession Viennoise & Art Nouveau

Vers 1900, l’historicisme romantique de Wagner a cédé la place au modernisme via la sécession viennoise et l’art nouveau.

La révolution industrielle avait crée la société de consommation et les artistes et les architectes découvraient le design. Rien qu’à Vienne, Koloman Moser réussit aussi bien en tant que peintre, graphiste et designer de meubles, Gustav Klimt promeut les créations conçues par sa maîtresse Emilie Flöge dans ses peintures et fresques, et Otto Wagner et Hector Guimard (à Paris) célèbrent la vitesse des transports publics en proposant des gares qui ressemblent à des cathédrales.

À propos des cathédrales, n’oublions pas la Sagrada Familia d’Antoni Gaudi, peut-être le dernier Gesamtkunstwerk encore en construction aujourd’hui. L’architecture de cette église, ses sculptures et faiances, ses vitraux, célèbrent tous l’unité divine entre homme et Dieu.

Restons à Barcelone et visitons une œuvre révolutionnaire de l’architecture du Bauhaus: le Pavillon de Mies van der Rohe, la contribution allemande à l’exposition universelle de 1929 á Barcelone.

Ici, le sacré cède la place à la glorification de la nature industrialisée.

L’utilisation sublime de la pierre encadrée d’acier, la légendaire chaise Barcelona et le bronze Le Matin de Georg Kolbe dans le bassin réfléchissante font de cet endroit un temple où je vénère les dieux du bon goût chaque fois que je visite la ville.

Vue intérieure du pavillon de Barcelone par Mies van der Rohe avec la figure féminine de Georg Kolbe "The Morning" (1929) -source: Enric Duch / Archives photographiques du musée Georg Kolbe
Vue intérieure du pavillon de Barcelone par Mies van der Rohe avec la figure féminine de Georg Kolbe « Le Matin » (1929) -source: Enric Duch / Archives photographiques du musée Georg Kolbe

Le Bauhaus

Le Bauhaus, dirigé à son apogée par Mies, était en parfaite adéquation avec l’idéal du Gesamtkunstwerk. À mon avis, c’est d’ailleurs une raison fondamentale pour laquelle ce mouvement n’aurait pu voir le jour qu’en Allemagne.

Le Bauhaus a été conçu comme la matérialisation universelle de la société moderne.

Selon ses enseignements, une approche «moderne» complète devait inclure l’aménagement paysager, la conception de meubles et même la palette de couleurs comme contribuant à la praticité et à l’efficacité des espaces de vie et de travail. Plus tard, la sculpture et la fresque ont pris des rôles beaucoups moins importants , étant considérées comme superflues pour ces machines á vivre et 100 ans plus tard, le principe moderniste de la forme qui suit la fonction est toujours un paradigme.

Malheureusement, notre quête d’efficacité semble avoir eu raison sur la notion du Gesamtkunstwerk. Couper les intermédiaires nous empêche de chercher la collaboration de différents artistes pour un projet plus grand et plus universel qui nous rapproche de Dieu.

C’est ce qui rend notre modernité si froide et inhumaine.

Giovanni Lorenzo Bernini, Détail, L’Extase de Sainte Therese, Santa Maria Della Victoria, Rome, 1645-1652

Avons-nous perdu notre connexion avec Dieu et l’avons-nous sacrifié pour le profit?

Avons-nous perdu l’aspiration à devenir divin?

Ou pour reprendre les mots de Nietzsche: Avons-nous tué Dieu tout court?

Certains historiens de l’art affirment que le performance-art, les happenings, les installations et l’art numérique perpétuent l’idée du Gesamtkunstwerk.

Je préfère les designer comme de l’art immersif, car ils naissent le plus souvent de l’imagination d’un seul artiste et manquent par conséquence l’ouverture que seul la collaboration avec d’autres artistes peut atteindre pour créer un impact plus universel.

Imaginez simplement si l’un des star-chitects d’aujourd’hui plantait un bâtiment qui comprenait des sculptures et, Dieu nous en préserve, des fresque!

Les critiques seraient sur les barricades tout de suite, rejetant cette propositions comme trop de trop au point d’être kitsch, réactionnaires, plutôt dignes d’une pizzeria!

C’est vraiment dommage, car ces one-man-shows manquent d’intensité et d’humanité qui ne peuvent être obtenues que par un effort commun.

Giovanni Lorenzo Bernini, Détail, L’Extase de Sainte Therese, Santa Maria Della Victoria, Rome, 1645-1652

Un peu plus d’humilité et de spiritualité nous ferait du bien pour transformer ce qui reste de la planète en un grand Gesamtkunstwerk que nous créons tous ensemble?

Genre Burning Man (Hey !) mais en moins foncedé et plus inclusif et perenne !

Ne serait-ce pas une façon de sortir de la bouillie post-moderne dans laquelle nous mijotons depuis trop longtemps?

Un autre rêve à ajouter à la liste des choses à faire á l’heure du déconfinement!

A special thank you goes to Michael Cooper and the Canadian Opera Company.

Michael Cooper’s dramatic flair and ability to capture moods in his commercial work comes from his involvement with the performing arts community. Michael has photographed all of the Canadian Opera Company’s productions for 37 years. 

Follow him on Instagram or check out his work on his website!

*GUID-O-BERLIN crée des souvenirs: rencontres personnalisées exclusives à Berlin et ses environs, explorations d’autres villes européennes en dehors des sentiers battus par les touristes.

Photo titre par le photographe berlinois Mark thisismywork.online tiré du serie The Nymph de Berlin by Valentin Schmehl (valentinschmehl.eu)