votre délinquante favorite
Les mondes photographiques de Kourtney Roy sont précisément cela, des univers complets dont les codes sont dictés par elle seule.
Ils défilent comme un roman graphique ou une bande dessinée vintage en technicolor, avec toujours cette envie pressante de découvrir ce qui se passera juste après. Sans surprise, une description d’elle -disons au debut de sa phase adulte- se lit comme un road movie entier, de préférence filmé par Tarantino, suites comprises:
«Kourtney Roy, photographe canadienne, née dans la nature sauvage du nord de l’Ontario en 1981, au Canada, vit et travaille actuellement à Paris. Elle apprit à utiliser une hache avant de savoir marcher et maîtrisa l’utilisation du fusil de son père et d’autres petites armes à feu à l’âge de 12 ans. À l’âge de 13 ans, elle était championne régionale de ski de fond. Elle a ensuite consacré ses capacités à la contrebande de fourrures et de sirop d’érable au-delà des frontières Acadiennes gelées. Après avoir passé une jeunesse plutôt rauque à boire, à manipuler des serpents et à se battre dans des bars, elle tourna son regard vers l’Europe, pour finalement s’installer à Paris. Les jours de Kourtney dans la capitale française sont consacrés à semer le trouble, à boire du bourbon et à se photographier dans des hôtels minables et des parcs de roulottes délabrés. “
Source: Prix Elysée
Depuis le début du confinement sous Covid-19, nous sommes captivés par cette série de photos hilarantes sur Insta intitulée ‘échecs de survie en temps de pandémie’, créée par Roy avec «de l’herbe, des gants, un masque, un poulet et un chat».
Le moment est donc venu de contacter cette fameuse Roy, ‘notorious Roy’ comme nous aimons l’appeler, histoire de lui poser quelques questions!
Creations Covid19 à la Roy
Le scénario Covid19 semble être la toile de fond parfaite pour les photographes en général. En regardant votre série pandémique, on dirait que vous faites une étude de terrain?
C’était un exercice intéressant pour moi.
Comment travailler à partir des matériaux de base que j’ai autour de moi?Normalement, j’ai des perruques, du stylisme, différents lieux, des décors, etc.
Là, il s’agissait vraiment de savoir comment créer quelque chose de pertinent et de fidèle à moi-même avec de l’herbe, des gants, un masque, un poulet et un chat.
Le quotidien carnavalesque de merveilles et folies humaines
J’at toujours le sentiment que votre travail recèle de la malice si l’on creuse un peu, mais aussi un regard et une présence stoïques. Cela me donne l’impression de deux opposés qui se soulignent d’ailleurs dans leurs contrastes. Est-ce juste moi ou diriez-vous qu’il y a une partie de vous en tant que créateur de ces scènes qui est stoïque mais aussi espiègle?
Il y a un jeu entre un humour ludique sombre, un regard presque vide du modèle (ou, comme vous l’appelez, stoïque), qui la transforme en un chiffre mystérieux, quelque chose sur lequel nous, le spectateur, pouvons projeter toutes les émotions fantastiques ou les histoires que nous voulons.
Je sens que cela intensifie l’étrangeté et le trouble de l’atmosphère.
L’espièglerie est également délibérée parce que je pense que même si j’aime prendre mon travail au sérieux, je ne veux pas me prendre trop au sérieux
Cet humour noir est peut-être ma façon de montrer qu’en fin de compte, ce n’est qu’une photographie, que son pouvoir ne doit pas dépasser notre perception individuelle de l’image. Elle n’est pas universelle et transcendantale mais alourdie par ce carnaval quotidien de cette folie humaine toute merveilleuse.
Comment se déroule une histoire et comment choisissez-vous vos décors? Quel est votre processus de travail et votre approche? Ou bien vous contentez-vous spontanément de saisir ce que la vie vous réserve, comme maintenant en ces temps de Covid-19?
Quand je débute un projet, j’ai une longue période «d’incubation» où je laisse libre cours à mes idées et obsessions dans mon imaginaire. Une fois que ces idées commencent à avoir une certaine solidité et un monde qui leur est propre, je commence généralement à rechercher des endroits où je voudrais mettre en scène le projet.
En même temps, je suis en quête d’inspiration où que je puisse la trouver, et je lis des textes théoriques ou d’autres qui pourraient être pertinents pour mon idée.
Les choses commencent également à revêtir un aspect pratique: quels sont les avantages et les inconvénients du tournage à tel ou tel endroit? Est-ce financièrement faisable? Y a-t-il des emplacements disponibles qui me semblent appropriés? Y a-t-il du matériel photo et film disponible à la location? Puis-je obtenir une équipe de coiffure et de maquillage sur place ou dois-je en envoyer une?
Tous ces éléments sont importants à côté du processus créatif
Mondes pluriels dans ma tête
J’avais repéré votre travail pour la première fois il y a quelques années au salon de Photo London. Je garde un vif souvenir de mon enthousiasme ainsi que d’une volonté d’éloigner les photos de ce cadre, de les prendre avec moi et de les digérer dans mon système et mon esprit… Pouvez-vous nous parler des réactions des gens? Êtes-vous intéressée par ce qui se passe ‘dans’ le spectateur lorsqu’il ou elle voit votre travail?
Je suis généralement plus intéressée par ma propre réaction à l’oeuvre.
L’œuvre transmet-elle quelque chose de mystérieux et troublant?
L’univers qu’elle reflète est-il celui dans lequel je veux entrer et auquel je souhaite faire partie? Je trouve généralement que si le travail résonne en moi, il y aura une forme de réaction de la part du spectateur aussi.
De quelle type de réaction il s’agira est, bien-sûr, absolument hors de mon contrôle.
Je ne cherche pas à transmettre une sorte de message ou à imprégner mon oeuvre d’une signification spécifique.
Il s’agit de donner vie aux mondes imaginaires dans ma tête.
Obsessions secrètes saison 2
Quel titre aurait votre vie si elle était un film? Et y aurait-il des suites?
Mes Obsessions Secrètes. Oui, il y aurait certainement au moins 2 saisons avec 10 épisodes chacune.
Y a-t-il une œuvre d’art, une personne, un lieu ou une situation particulière qui vous a inspirée ou motivée à devenir artiste?
Je n’ai pas d’événement particulier qui a été cataclysmique dans ma trajectoire artistique. C’est une accumulation beaucoup plus lente et désordonnée de voir et d’expérimenter le monde, les œuvres d’autres artistes, le cinéma et la culture en général.
J’essaie continuellement de voir les choses avec une ouverture d’esprit et une réceptivité naïve qui ne sont pas toujours faciles à réaliser.
Sources diverses et atypiques
Vous considérez-vous comme spirituelle?
Certainement pas spirituelle. Je suis davantage une nihiliste stoïque ou une bouddhiste peu orthodoxe et excentrique, flâneuse.
Y a-t-il un auteur que vous lisez en ce moment, ou un texte qui vous stimule plus généralement?
J’ai toujours été fan des écrits d’Henri Bergson. J’aime particulièrement Le Temps et son Libre arbitre, La Matière et La Mémoire. Dernièrement, j’ai été happée par le monde de la crypto-zoologie et ces livres sur les stratégies de survie.
J’aime m’inspirer de sources diverses et non conventionnelles.
Esthétique, processus, émotion -qu’est-ce qui prédomine lorsque vous développez vos histoires et vos œuvres?
Je dirais l’instinct et l’esthétique.
Je le décrirais comme si j’avais un film inconnu projetant des scènes fugaces et obscures dans ma tête.
Ces images se rejouent constamment, de sorte que l’histoire plus vaste reste mystérieuse, même pour moi.
La photographie me permet de donner vie à ces fragments.
L’avenir est magique et pourtant inévitablement sombre
Si vous le pouviez, que changeriez-vous avec le marché de l’art?
Je ne sais pas si j’ai quelque chose à changer parce que je ne pense pas beaucoup au marché de l’art. Je vis dans ma propre bulle.
J’aime faire mon travail et je ne fais pas attention aux caprices du marché de l’art ni à ceux qui le manipulent.
Je n’essaie pas de paraître égocentrique et ignorante; Je pense simplement qu’il y a beaucoup de choses à changer dans le monde et que le marché de l’art n’est pas au sommet.
Veuillez nous parler de vos projets en cours et de ce que vous comptez faire ensuite.
En ce moment, je travaille sur une collaboration de scénario pour un long métrage avec mon amie scénariste.
J’ai également un livre qui sortira à l’automne, intitulé The Tourist, fondé sur un projet que je développe depuis l’année dernière à Cancún et Miami.
L’avenir est….?
Magique et pourtant inévitablement sombre.
Photo d’en-tête: Kourtney Roy, SORRY NO VACANCY, Texas
Plus d’informations sur Kourtney Roy ici et sur IG
Auteure: Esther Harrison
Traduction: Alexandra Etienne