COUP DE COEUR
Susanne Rottenbacher peint avec la lumière. Son installation “Lily Pond” vient d’être inaugurée au siège traditionnel de la maison Swarovski à Innsbrück. Une mer de lumière, des nénuphars, des cristaux et des pétales s’y étirent sur une quinzaine de mètres le long d’une paroi historique. Susanne Rottenbacher joue avec la complexité du lieu et fait fi des difficultés de terrain en y insufflant une énergie nouvelle: elle recrée et transforme l’espace de manière sensorielle, sensuelle et poétique.
La signature de cette artiste se lit tout particulièrement dans les textures. Susanne procure de la légèreté au plexiglas et aux films acryliques, ces matériaux artificiels qui ici devinent fluides et semblent couler tout naturellement. Les reflets, superpositions et jeux de couleurs qui en résultent nous offrent de nouvelles perspectives de découvertes et de surprises. On accède alors à un espace stimulant et inattendu qui captive notre regard.
Avec sa sculpture, cette artiste de la lumière fait partie d’une collection d’art publique exceptionnelle avec notamment Yayoi Kusama, Lee Bul, Keith Harring ou Niki de Saint Phalle. En compagnie de l’historienne de l’art et commissaire Barbara Green, la fondatrice et rédactrice en chef de Coeur et Art Esther Harrison, a rencontré l’artiste lors de son exposition sur le Tyrol.
Pour ton installation Lily Pond, tu as peint un étang de nénuphars avec de la lumière. Comment ce motif t’est-il venu à l’esprit? Nous avons pensé à Monet …
Le nom ‘Goldene Rose Inn’ qui désigne ce lieu historique (utilisé jusqu’en 1985) inspira mon projet: un bassin de nénuphars le long du grand mur d’entrée de la Crystal House Swarovski à Innsbruck.
Pour moi, cette référence symbolise l’évolution de Crystal House –d’une économie autour de la sensualité et de la consommation pour tous, a ce lieu aujourd’hui qui nous enchante ponctuellement avec ses trésors et bijoux à la vue de tous. Voilà l’element déclencheur, à la source de mon travail.
La rose (ici sous forme de nénuphar) est choisie pour beauté magique et son côté extatique.
Elle dégage la tranquillité et propage une atmosphère paisible et lumineuse. Installé sur et devant le grand mur, ce paysage de nénuphars ‘Lily Pond’ est loin d’être superficiel car son histoire nous offre d’autres perspectives de lectures et d’interprétations: espace pictural tridimensionnel, il se fond dans la structure de mur existante et entre ainsi en contact avec ce tissu de construction centenaire.
Les reflets sur les surfaces des fenêtres se miroitent comme des nénuphars sur des surfaces aquatiques, rayonnant entre l’ici et l’infini dans leur splendeur de couleurs et de textures cristallines.
Tendance Monet oblige.
Depuis combien de temps travailles-tu sur cette sculpture, de l’idée à l’installation proprement dite? Vu sa sophistication, quels défis particuliers a-t-elle présenté, notamment en ce qui concerne son emplacement à la maison Crystal?
Nous avons travaillé les trois-quarts de l’année 2019 sur cette sculpture, depuis janvier.
D’une part, les nénuphars explosifs avec leurs pétales larges et en porte-à-faux présentaient un défi statique.
Quant à l’aspect cristallin et ultra-léger de l’installation, telle une esquisse rapide devant le mur, nous avons dû utilisé 120 barres murales pour fixer chaque élément, ce qui, en raison des irrégularités du mur de la façade historique, a requis 120 longueurs différentes de supports muraux. Nous avons développé des dessins précis afin que chacun des montages 3 axes (de type xyz) puisse être mesuré et intégré dans le système de coordonnées cartésien tridimensionnel. C’était complexe.
Cet ‘espace-canyon’ avec sa structure en forme de gorge est exigeant d’un point de vue technique. Ta formation de scénographe t-a-t-elle aidée à le façonner?
Je pense que oui. Je n’ai pas peur des grands espaces.
Au contraire: j’aime leur immensité.
Mes projets en architecture et sur scène à grande échelle ont développé mon attirance pour les grands espaces. Je pense aussi que mon apprentissage de décoratrice me rapproche de l’idée mettre en scène ces espaces.
Tu utilises notamment de l’acrylique et des films plastiques dans ton travail. Peut-on considérer ces matériaux artificiels comme contraires à la nature et donc au motif des nénuphars?
Ma méthode de travail est mon écriture, ma signature.
Mon mode d’expression le plus adéquat est la matière industrielle.
Je recherche une sorte de profondeur mécanique dans le matériau, une certaine vivacité: il s’agit de regarder à travers, de refléter, superposer, casser, colorer. Ma méthodologie et ma technique deviennent une expérience sensorielle que l’on ne soupçonnait peut-être pas au départ. Je vise à dissoudre la dichotomie entre technologie et atmosphère. Le matériau, même artificiel, se conjugue alors à la nature et donc à nos sens.
Swarovski, sous la direction de la commissaire Carla Rumler, collabore depuis plus de dix ans avec des artistes de renom tels que Feurstein, Yahoi ou Bul. Que penses-tu des autres propositions de la maison?
Y en a-til une qui t’a particulièrement intéressée en tant qu’artiste de la lumière?
En fait, les deux installations “Into Lattice Sun” (Lee Bul) et le “Chandelier of Grief” (Yayoi Kusama) sont mes installations préférées.
Ces espaces en miroir laissent apparaître des paysages et des étendues utopiques qui intègrent l’environnement et le visiteur dans ces terrains recréés: ils se reflètent sur eux-mêmes et sur leur position dans l’espace. La poésie visuelle qui en résulte me fascine.
Bien sûr, les yeux de mouche de Thomas Feuerstein m’intriguent aussi. Son approche de l’espace est quasiment contraire à la mienne: statique, imposante et autonome, devant un mur blanc fermé -un cube blanc.
Dans mon installation, les miroirs dans les niches des fenêtres ouvertes permettent une ouverture du mur historique vers cet autre espace d’image tridimensionnelle. Mon installation se déplace à travers ces paysages-miroirs fluides et mouvants.
Avez-vous une anecdote personnelle sur Swarovski?
Inspirée par l’idée de Swarovski selon laquelle des bijoux ça et là font partie de ces petits plaisirs de la vie, je me suis fait percé les oreilles cette année pour mes 50 ans.
Lorsque j’ai appelé le bijoutier pour prendre rendez-vous, la vendeuse m’a dit que je devrais amener ma mère.
J’ai trouvé sa remarque très mignonne, j’y étais finalement sans ma mère.
Où est-ce que l’on pourra voir ton art de la lumière par la suite?
En octobre 2019 à Berlin, dans le cadre de “Museum of Now”, une exposition collective de la Berlin Art Society à Neukölln ; début novembre à la galerie Jordanow à Munich pour mon exposition personnelle, et à la vente aux enchères de cette année -PIN de la Pinakothek der Moderne; à “Karl Cool”, une exposition collective du groupe hôtelier Oetker qui ouvrira ses portes au Brenners Park Hotel le 20 novembre 2019 ; enfin une exposition personnelle au Kunsthaus Kloster Gravenhorst à Münster à partir du 1er décembre 2019.
Pour en savoir plus sur Susanne Rottenbacher, cliquez ici, ainsi que sa sculpture lumineuse Lily Pond
Photo Credits: Swarovski Kristallwelten & Claus Rottenbacher
Authors: Barbara Green & Esther Harrison
Translation: Alexandra Etienne