Être roi
Gravures, estampes, techniques mixtes, installations … l’œuvre pluridisciplinaire de l’artiste sud-africaine Christine Dixie s’appuie souvent sur la littérature pour explorer des thèmes tels que la féminité, le corps, nos émotions enfouies qui parfois refont surface. Née au Cap en 1966, Christine Dixie est également maître de conférences au département des beaux-arts de l’Université Rhodes à Grahamstown, en Afrique du Sud.
Nous avions rencontré l’artiste et vu son travail pour la premiere fois au festival international d’art contemporain KAUNAS IN ART, “So Close, So Far” en novembre 2018. Elle y montrait «To be King», une installation multimédia tirée du tableau Meninas de Velasquez (1565) et d’un essai ultérieur sur le tableau de Foucault (1966) dans lequel elle remet en question le status quo (à suivre).
Nous aimons beaucoup son oeuvre depuis, d’autant plus fortement qu’elle réussit à manier et combiner des concepts politiques et philosophiques a la notion de ‘genre’ avec aise et subtilité. Quel meilleur moyen de poursuivre la conversation avec elle que l’une de nos interviews ‘Coeur a coeur’:
Y a-t-il une oeuvre d’art ou une situation; un individu ou un lieu particulier qui t’a inspirée et motivée à devenir artiste?
Quand j’étais petite, j’utilisais l’art pour me façonner mon propre espace, un lieu ludique et sûr où je puisse me retirer.
Je ne le savais pas à l’époque mais cette idée de la production artistique comme moyen de donner sens à mon monde en tant qu’enfant a continué à me guider et m’inspirer adulte.
Vent, feu, eau, terre… si ton oeuvre ou ta personnalité était un élément, lequel choisirais-tu?
Question épineuse…Tous ces éléments se retrouvent dans mon oeuvre.
Cela dit, une grande partie de mon travail depuis que je vis à l’est du Cap est liée à la terre, car la résonance politique de ce lieu est forte, elle fait écho à la terre et ses paysages nourris d’histoires complexes.
Une de mes œuvres qui aborde ce sujet Même dans la longue descente a été acquise par le Musée national d’art africain Smithsonian et est devenue partie intégrante d’une exposition majeure intitulée L’importance de la terre: la terre comme matériau et métaphore dans les arts d’Afrique, en 2013.
Réalisée en 2002, cette série évoque en partie mon séjour à Nieu Bethesda (une petite ville du Karoo) et la sensation étrange qu’on peut avoir quand on marche: on foule une terre qui porte en elle le temps, ces milliers d’années en profondeur du sol. La conservatrice Karen Milbourne du Smithsonian National Le Musée de l’art africain note que
les brins d’herbe bien délimités et les traînées subtiles de la surface laissent deviner des corps gris-bleu défunts, peu à peu balayés à la surface par un glissement de boue ou au contraire totalement enfouis.
Leur présence surnaturelle appelle à s’interroger sur les histoires qui sommeillent sous terre, à la racine des choses immaculées que l’on voit en surface.
Plus récemment, outre la Terre, j’ai intégré les éléments feu, eau et espace à l’installation To Be King (2014) ainsi que pour l’exposition d’impressions The Santiago Cross – Invisible Trade (2015).
Ces deux projets font partie de mon travail en cours intitulé The To Be King Project, qui comporte plusieurs volets.
Dans l’installation, l’eau représente l’océan Atlantique où se déplacent des navires à intervalles réguliers tout au long de l’animation.
Dans une autre séquence, la princesse dépeint l’image d’un enfant dans l’espace (fig. 7) et dans l’une des scènes-phares finales, l’artiste est à la fois littéralement et métaphoriquement en feu.
Dirais-tu que tu es spirituelle ou que la spiritualité nourrit ton travail?
Je ne me considère pas consciemment comme spirituelle et ne cherche pas à créer des œuvres dites ‘spirituelles’.
Cependant, si je regarde mon travail au fil des ans, je constate que je suis attirée par la représentation de motifs dans lesquels l’indéfini, le liminal et l’ineffable sont perceptibles.
Dans une scène de l’installation To Be King par example, un corps s’élève dans l’espace comme si son âme était transcendée.
Dans une autre installation, The Binding, le corps de l’enfant disparaît littéralement et métaphoriquement de la surface du papier pour reparaître dans une impression suivante.
Je dirais donc que, par le biais de techniques juxtaposées et d’allusions métaphoriques, des connotations parfois spirituelles sont dans mon travail suggérées plutôt qu’explicites.
Quel est ton livre de un auteur spécifique que tu lis en ce moment?
Je viens de terminer La peste d’Albert Camus que j’ai trouvé profondément émouvant et pertinent.
La figure du médecin de la peste m’a fascinée et depuis je lis davantage autour de ce personnage historique si intriguant.
Peux-tu nous dire quel est ton projet de travail en cours et quelle exposition tu as l’intention de voir prochainement?
Je développe actuellement plusieurs projets. J’ai récemment terminé une série d’estampes intitulée Harbouring Fanon et je suis sur le point de les éditer. Cette série de dix gravures associe le concept de port à la fois à un lieu littéral, un espace dans lequel les navires sont ancrés et où les marchandises, les idées et les langues sont échangées, mais aussi à la notion plus abstraite de refuge comme métaphore de nos opinions et visions que l’on abrite, cautionne, protège.
Je m’appuie sur deux visuels: les cartes historiques qui retracent les incursions initiales des empires européens pour illustrer quels ports de territoires sont potentiellement rentables; et la cartographie contemporaine de l’espace via Google Maps.
Ces deux perspectives sont séparées dans le temps mais elles ont en commun la spécificité des emplacements géographiques.
Cette série brosse un portrait de Franz Fanon via la description visuelle de certains des ports qu’il a parcourus de son vivant. Les dix estampes retracent sa vie de son lieu de naissance sur l’île de la Martinique à son lieu de mort à Bethesda, dans le Maryland.
Tout à fait par hasard, j’ai découvert que l’un des sites que j’utilise dans cette série, le port d’Oran en Algérie, est la ville infectée par la peste, mentionnée par Camus dans son livre.
Je travaille aussi sur une installation, provisoirement intitulée Atropos.
Cette collaboration multimédia avec mon collègue Rat Western propose une réflexion autour de la technologie comme fil conducteur de la vie unissant notre naissance, notre vie et notre mort.
Read on about Christine Dixies fascinating and dense projects on her website!
Authors: Esther Harrison & Alexandra Etienne