Hemsby, descendant au ralenti
Imaginez que vous êtes un adolescent et que le village sur la côte où vous et votre famille vivez depuis des générations s’enfonce petit à petit dans l’océan. Des portraits impressionnants comme ceux-ci peuvent être vus dans la série mélancolique et oppressante HEMSBY, par la photographe Maren Katerbau, exposée à la DIA de Munich depuis le 14 février.
Situé sur la côte de Norfolk en Grande-Bretagne, Hemsby est l’un des endroits où la menace du changement climatique est “déjà” une réalité, indéniablement.
La montée du niveau de la mer ces dernières années et les fortes tempêtes accompagnées d’inondations – «La Bête de l’Est» comme les appellent les villageois – sont des conséquences directes du changement climatique.
Regarder ces photos donne l’impression d’être un spectateur au théâtre: les lignes d’horizon des compositions rappellent les coulisses d’un théâtre, comme un drame au ralenti et en quatre actes qui se déroule sous nos yeux. Les protagonistes sont comme captifs dans la pièce, silencieux, rigides, mais aussi résolus.
Nous avons discuté avec Maren de HEMSBY et de ses résidents en manque de logement.
En chemin vers Hemsby
Dans ta série HEMSBY, tu as pris des photos d’un village sur la côte de Norfolk qui s’émiette lentement mais sûrement à cause du changement climatique.
Comment est-ce arrivé?
Je m’intéresse beaucoup à l’architecture et la topographie, l’histoire, la politique, la culture et la coexistence humaine.
Il y a plusieurs années, j’avais déjà commencé à décrire des lieux et leurs habitants via la photographie.
Pour moi, l’architecture et la photographie sont naturellement liées: elles peuvent toutes deux refléter les réalités historiques et politiques, et préserver le patrimoine culturel.
Fin 2018, un ami vivant à Londres m’a fait part de la situation à Hemsby.
Clairement il fallait que j’y aille afin de prendre des photos de ce village en train de disparaitre.
Comment es-tu arrivée à la photographie?
Il y a environ 23 ans, j’ai développé en chambre noire ma premiere pellicule noir et blanc. A ce moment-là j’ai su que je voulais devenir photographe.
Comment as-tu lancé la conversation avec les résidents et quelles en étaient tes impressions?
J’ai commencé par photographier l’architecture et le paysage. J’ai traversé le village de Hemsby de long en large ce qui m’a donné une image complète de la situation là-bas et des conséquences de l’érosion côtière.
Après quelques jours, j’ai frappé aux portes ou demandé aux gens dans la rue de me raconter leur histoire et de me donner le feu vert pour les représenter.
Que reste-t-il de Hemsby?
Peu d’attention a été accordée à la côte de Norfolk et au problème de l’érosion côtière en Angleterre jusqu’à présent et le manque de soutien est flagrant .
Avec une élévation prévue du niveau de la mer d’environ un mètre dans les prochaines décennies, c’est dû aux coûts élevés que les autorités en charge ne veulent plus investir dans la protection contre les inondations.
Ils soutiendraient cependant la réinsertion des résidents.
Les prix de l’immobilier à Hemsby ont chuté étant donné l’avenir peu prometteur de Hemsby.
Celui qui vend maintenant ne ferait guère de profit du tout.
Malgré tout, les habitants de Hemsby veulent à la fois passer le reste de leur vie dans leur village et s’assurer que leurs familles héritent de leurs maisons et propriétés.
Maren Katerbau, HEMSBY, 2019
Pour de nombreux habitants de Hemsby, c’est non seulement leur retraite qui est menacée, mais pour les jeunes et le village dans son ensemble aussi l’avenir est incertain.
Penses-tu toujours à Hemsby maintenant que tu es de retour chez vous?
Oui c’est sûr. Je suis toujours en contact avec certaines personnes que j’avais représentées là-bas. Un système de protection des côtes n’a pas pu être construit à ce jour en raison d’un manque de ressources financières.
Les tempêtes et inondations répétées ces dernières années ont arraché des mètres et des mètres de sable du bord de la falaise, plusieurs maisons ont déjà coulé dans la mer.
En raison du changement climatique et de l’élévation du niveau de la mer, l’érosion côtière est en augmentation à Hemsby.
Elle emporte avec elle les maisons et la base économique d’environ 4000 villageois vivant du tourisme.
L’inquiétude demeure pour les habitants de cette zone pauvre.
Pour ces habitants, Hemsby ne deviendrait plus qu’une maison temporaire.
J’observe aussi de plus près mes propres actions environnementales, ce qui m’a souvent fait prendre conscience de ma responsabilité à cet égard.
Te décrirais-tu comme spirituelle? Est-ce que cela se répercute d’une manière ou d’une autre dans ton travail?
Je suppose que nous sommes tous reliés d’une certaine manière et que par extension notre lieu d’origine est le même.
Mon travail photographique souligne cette attitude ou ce sentiment de solidarité.
Comment perçois-tu ton role en tant que photographe face au changement climatique?
Êtes-vous plutôt optimiste ou négative à ce sujet?
Je ne peux certainement pas stopper le changement climatique avec mon travail de photographe. Mais je peux du moins le rendre visible et ainsi espérer des changements dans la société.
Cet aspect de mon travail me rend optimiste.
Épilogue: Peu de temps avant la publication de cette interview, l’un des villageois avec lequel Maren Katerbau est toujours en contact, un ancien soldat maintenant à la retraite, lui avait envoyé un article de journal actuel dont on peut lire:
(La tempête Chiara a atteint la Grande-Bretagne il y a quelques jours avec de fortes pluies et des rafales de vent jusqu’à 145 km).
Ce texte rend compte de sa lutte pour sauver des inondations la maison dans laquelle il aimerait passer sa retraite.
Titre: « LAST MAN STANDING »
Maren Katerbau – HEMSBY
VERNISSAGE 14.02.2020, 19 Uhr
AUSSTELLUNG: 15.02. – 06.03.2020
DIA Raum für Kunst | Georgenstrasse 72 | 80799 München
About Maren Katerbau:
Maren Katerbau est un photographe basé à Berlin et à Stuttgart. Son travail se concentre sur le portrait, l’architecture et la narration visuelle. Elle a fait ses études à l’Université des sciences appliquées de Bielefeld, à l’Université des arts de Zurich, à l’Université des sciences appliquées de Hambourg et a également terminé la masterclass avec Ute Mahler & Ingo Taubhorn à l’École de photographie d’Ostkreuz à Berlin.
Author: Esther Harrison
Translation: Alexandra Etienne